J.O. 56 du 7 mars 2007
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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 26 février 2007 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2007-553 DC
NOR : CSCL0710099X
LOI RELATIVE À LA PRÉVENTION DE LA DÉLINQUANCE
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, en application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi relative à la prévention de la délinquance telle qu'adoptée par le Parlement.
A l'appui de cette saisine, nous développons les griefs et moyens suivants à l'encontre, en particulier, de l'article 8 et du chapitre VII de la loi critiquée.
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I. - Sur l'article 8 de la loi
Cet article organise l'échange d'informations confidentielles entre plusieurs intervenants, dont le maire et le président du conseil général. Tel que rédigé, cet article méconnaît l'article 34 de la Constitution, qui impose au législateur d'épuiser sa propre compétence, notamment lorsque sont en cause les libertés publiques, et ensemble le droit à la vie privée, qui découle de l'article 2 de la Déclaration de 1789.
La liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée. Ce droit requiert que soit observée une particulière vigilance dans la collecte et le traitement de données à caractère personnel (décision no 2004-504 DC du 12 août 2004). Ce principe s'applique tout autant lorsque sont en cause le recueil, le traitement, même manuel, et l'échange de données personnelles normalement couvertes par un secret garanti par la loi ou par une obligation de discrétion professionnelle et dont l'utilisation peut conduire à modifier la situation juridique des personnes.
Or, en l'espèce, les garanties apportées à l'échange de ces informations entre une pluralité d'acteurs dont les champs d'intervention sont très larges sont notoirement insuffisantes. Certes, il est prévu l'application de sanctions pénales en cas de divulgation de ces informations. Mais cela ne saurait suffire dès lors qu'en matière de protection des données personnelles il importe tout également de garantir la collecte, les conditions de conservation, de traitement et d'échanges.
Pourtant, ici rien n'est dit à ces différents égards. Rien n'est prévu quant à l'application des règles de la loi de 1978 sur l'informatique et les libertés, rien n'est envisagé pour le droit de rectification que les intéressés pourraient avoir si les données ainsi échangées étaient conservées. Rien n'est donc précisé alors que sont en cause des données personnelles sensibles et, de façon corollaire, qu'est affaibli le secret professionnel.
Dans ces conditions, l'article 2 de la Déclaration de 1789 et l'article 34 de la Constitution sont méconnus.
II. - Sur le chapitre VII de la loi
Ce chapitre VII de la loi présentement déférée tend à modifier l'équilibre du droit spécial applicable aux mineurs. Or plusieurs dispositions ainsi votées remettent en cause les principes constitutionnels applicables en la matière sans pour autant apparaître de nature à satisfaire l'intérêt général que constitue la préservation républicaine de l'ordre public.
II-1. A cet égard, vous avez jugé dans une décision de principe « que l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle ; que ces principes trouvent notamment leur expression dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante ; que, toutefois, la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 ne consacre pas de règle selon laquelle les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives ; qu'en particulier les dispositions originelles de l'ordonnance du 2 février 1945 n'écartaient pas la responsabilité pénale des mineurs et n'excluaient pas, en cas de nécessité, que fussent prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention ; que telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs ;
Considérant, par ailleurs, qu'il résulte des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 que doivent être respectés, à l'égard des mineurs comme des majeurs, le principe de la présomption d'innocence, celui de la nécessité et de la proportionnalité des peines et celui des droits de la défense ; que doit être respectée également la règle énoncée à l'article 66 de la Constitution, selon laquelle "Nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ;
Considérant, enfin, que, lorsqu'il fixe les règles relatives au droit pénal des mineurs, le législateur doit veiller à concilier les exigences constitutionnelles énoncées ci-dessus avec la nécessité de rechercher les auteurs d'infractions et de prévenir les atteintes à l'ordre public, et notamment à la sécurité des personnes et des biens, qui sont nécessaires à la sauvegarde de droits de valeur constitutionnelle » (décision no 2002-461 DC du 29 août 2002 ; décision no 2004-492 DC du 4 mars 2004).
C'est à l'aune de cette jurisprudence qu'il vous est demandé de bien vouloir examiner la conformité à la Constitution, et aux principes garantissant la spécificité du droit des mineurs, des dispositions des articles constituant le chapitre VII de la loi.
II-2. En particulier, il sera fait grief à l'article 55 de la loi d'avoir remplacé la procédure de « jugement à délai rapproché » par une nouvelle procédure intitulée « présentation immédiate devant la juridiction pour mineurs ». A la lecture des nouvelles règles ainsi posées, force est de constater que le législateur a introduit une procédure pénale quasi semblable à celle dite de comparution immédiate en vigueur pour les majeurs.
En conséquence, il s'avère que la spécificité du droit des mineurs est méconnue sans raison objective valable dès lors qu'il n'a pas été établi par le Gouvernement, au travers d'éléments objectifs et rationnels telle une étude d'impact préalable, que la procédure dite de jugement à délai rapproché, instituée il y a seulement quatre ans, n'aurait pas suffisamment permis de satisfaire la nécessaire préservation de l'ordre public.
D'abord, il faut relever un élargissement du champ d'application de cette procédure à un très large registre d'infractions puisqu'elle pourra être mise en oeuvre pour les infractions punies d'une peine d'un an à 10 ans de prison en cas de flagrant délit, et de 3 ans à 10 ans de prison dans les autres cas.
Cette procédure de comparution immédiate déguisée devient donc quasiment le droit commun des mineurs. Ce ne sont pas les différences minimes affichées qui tromperont. Car, soit cette nouvelle procédure modifie substantiellement l'équilibre du droit applicable et, dès lors, plus grand-chose ne la distingue du droit applicable aux majeurs, soit elle ne le modifie pas significativement et son utilité est donc nulle au regard du légitime objectif de préservation de l'ordre public.
Pour sa part, le Sénat a relevé, lors de la première lecture, dans son rapport sur le projet de loi que « s'interrogeant sur la possibilité d'améliorer ce dispositif, la commission d'enquête avait écarté l'extension de la procédure de comparution immédiate aux mineurs. En effet, elle avait constaté que cette procédure « interdit toute investigation, même rapide, sur la situation du mineur. Son application aux mineurs poserait des difficultés techniques considérables. Le tribunal pour enfants, composé d'un magistrat et de deux assesseurs non professionnels, devrait se réunir tous les jours afin de pouvoir juger les mineurs traduits devant lui en comparution immédiate. Tel n'est pas le cas aujourd'hui. Une telle évolution serait peut-être possible dans quelques juridictions de très grande taille, mais à l'évidence pas partout. L'autre évolution consisterait à confier ces affaires au tribunal correctionnel. Mais il s'agirait d'une atteinte profonde à la spécialisation des juridictions pour mineurs ».
Cette remise en cause du principe fondamental que vous avez consacré est d'autant plus certaine qu'examinant, en 2002, la procédure dite de jugement à délai rapproché, vous aviez pris soin de ne la valider qu'après avoir examiné les différentes garanties permettant de la distinguer de la procédure de comparution immédiate applicable aux majeurs. Vous aviez ainsi considéré que « les dispositions contestées ne prévoient le jugement à délai rapproché que si le mineur encourt une peine d'emprisonnement au moins égale à trois ans en cas de flagrance et à cinq ans dans les autres cas ; que la procédure ne peut être engagée que si des investigations sur les faits ne sont pas nécessaires et si une enquête de personnalité a été réalisée à l'occasion d'une procédure antérieure d'un an au plus ; que le procureur de la République doit notifier au mineur les faits qui lui sont reprochés en présence d'un avocat ; que, dès sa désignation, l'avocat peut consulter le dossier et communiquer librement avec le mineur ; que l'audience de jugement doit se tenir dans un délai compris entre dix jours et un mois ; que, s'il considère que l'affaire n'est pas en état d'être jugée, le tribunal pour enfants ne peut renvoyer l'audience à plus d'un mois ; que, si le tribunal estime des investigations nécessaires compte tenu de la gravité et de la complexité de l'affaire, il renvoie le dossier au procureur ; que, pour les mineurs de plus de seize ans, la détention provisoire précédant l'audience ne peut se prolonger au-delà d'un mois à compter de la première comparution devant le tribunal ; que les mineurs de treize à seize ans, pour leur part, ne peuvent faire l'objet, avant l'audience, que d'une mesure de contrôle judiciaire ; qu'en outre le jugement à délai rapproché répond à la situation particulière des mineurs en raison de l'évolution rapide de leur personnalité » (décision du 29 août 2002 précitée).
Or, en modifiant le quantum de la peine autorisant le recours à cette nouvelle procédure accélérée, le législateur modifie l'équilibre que vous aviez jugé satisfaisant les garanties constitutionnelles.
Ensuite, la nouvelle procédure aboutira, sous la pression du parquet, à imposer aux juges pour enfants une approche plus quantitative que qualitative de ce contentieux, avec pour conséquence très concrète de limiter le temps laissé à la juridiction spécialisée pour apprécier la nécessité ou non de requérir des informations supplémentaires et d'exiger une enquête de personnalité.
Pour le dire autrement, la spécificité de la justice des mineurs qui tend aussi à répondre à l'évolution rapide de leur personnalité en permettant au juge de prendre des sanctions adaptées à la réalité de la situation du moment, en préservant la possibilité de réinsérer le jeune en fonction de sa maturité, est désormais réduite à une portion congrue. Le principe fondamental que vous aviez bien voulu reconnaître, à l'instigation des mêmes saisissants qu'aujourd'hui, risque donc de n'être plus qu'une coquille vide et le mineur n'être plus qu'un majeur en miniature.
Face à une procédure quasi identique à celle applicable aux majeurs, il resterait à constater la fin implicite mais évidente des « procédures adaptées » aux mineurs telles que garanties par les principes constitutionnels.
II-3. L'article 57 de la loi encourt des critiques de même nature en ce qu'il étend les possibilités de placement sous mesure de contrôle judiciaire et conséquemment en détention provisoire pour les mineurs de 13 à 16 ans.
En effet, ce mécanisme pourra désormais s'appliquer aux mineurs de 13 à 16 ans lorsque la peine qu'ils encourent est supérieure ou égale à sept ans, sans condition particulière touchant à leur passé pénal.
Or, vous n'aviez admis cette faculté de placer un mineur sous contrôle judiciaire et en détention provisoire s'il méconnaissait les obligations de cette mesure que si l'intéressé a déjà fait l'objet d'une condamnation ou d'une mesure de placement (décision du 29 août 2002 précitée).
Là encore, on voit que le but de cette disposition est de nier la spécificité du droit des mineurs tenant, notamment, à la prise en compte de leur personnalité et de leur évolution, sans avantage significatif pour la préservation de l'ordre public.
II-4. De la même façon, il importe de s'interroger sur la portée de l'article 60 de la loi querellée modifiant le deuxième alinéa de l'article 20-2 de l'ordonnance no 45-174 du 2 février 1945 au regard des principes constitutionnels applicables aux mineurs, du principe d'individualisation des peines tels qu'il découle de l'article 8 de la Déclaration de 1789, du droit au recours et de la défense.
En effet, cet article est désormais rédigé comme suit :
« Toutefois, si le mineur est âgé de plus de seize ans, le tribunal pour enfants ou la cour d'assises des mineurs peuvent décider qu'il n'y a pas lieu de faire application du premier alinéa, soit compte tenu des circonstances de l'espèce et de la personnalité du mineur, soit parce que les faits constituent une atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique de la personne et qu'ils ont été commis en état de récidive légale. Cette décision, prise par le tribunal pour enfants, doit être spécialement motivée, sauf si elle est justifiée par l'état de récidive légale. »
Il convient de s'interroger au regard des principes applicables au droit des mineurs sur une disposition qui aboutit à priver celui-ci de la motivation d'une décision de justice d'une telle mesure lourde de conséquence pour le mineur.
La volonté du projet de loi de lutter contre les mineurs multirécidivistes ne doit pas aboutir à les priver de la garantie que constitue la motivation d'un jugement, sauf à introduire en droit spécial des mineurs une automaticité de la peine qui méconnaîtrait les principes de la justice des mineurs, tout comme le droit au recours et le principe de l'individualisation de la peine.
Au regard de l'objectif de préservation de l'ordre public, une telle disposition n'apporte rien de significatif sauf à permettre une justice plus proche de l'« abattage », héritière du traitement des classes dangereuses du xixe siècle, que de la prise en compte d'une logique de prévention et de réinsertion qui apaise le corps social.
Les mots séparables du reste de l'article « , sauf si elle est justifiée par l'état de récidive légale » doivent donc être invalidés.
De tous ces chefs, la censure des dispositions critiquées est encourue.
Nous vous prions de croire, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, à l'expression de notre haute considération.